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Bleu de brebis de Lactalis

Un ersatz de roquefort qui passe mal

Depuis début avril, Lactalis, le numéro 1 mondial des produits laitiers, vend un nouveau fromage, appelé « Bleu de brebis », arborant le logo vert de la célèbre marque Société. Un ersatz de roquefort selon les défenseurs de l’appellation d’origine protégée (AOP) roquefort qui dénoncent une tromperie pour les consommateurs.

Le roquefort est un des fleurons de la gastronomie française et de notre patrimoine fromager, reconnu dans le monde entier. Pour preuve, il a été le premier, en 1925, à bénéficier d’une appellation d’origine protégée (AOP), adossée à un cahier des charges rigoureux et à une gestion collective par la Société des caves. Depuis, des maisons historiques – Papillon, Gabriel Coulet, Vernières, Le vieux berger, La pastourelle (Sodiaal) et Carles – s’efforcent de faire perdurer la tradition du roquefort. Mais, au fil des années, la Société des caves en a phagocyté l’image, au point de se confondre avec lui dans l’esprit de nombreux consommateurs, même si elle a perdu depuis belle lurette son statut collectif. Tombée depuis 1969 aux mains des majors de l’industrie agroalimentaire, cette célèbre marque est aujourd’hui dans l’escarcelle du géant mondial Lactalis.  C’est son service marketing qui vient de lancer « Bleu de brebis », un nouveau fromage destiné à reconquérir la clientèle face à des ventes en berne : 3,3 millions de tours (le nom des meules de fromages affinées dans les célèbres caves) vendues en 2018 contre 5 millions en 2014. Avec 57 % de ventes de roquefort sous sa marque Société, la multinationale peut bien faire ce qui lui chante, d’autant que selon le géant du lait, les jeunes générations se détournent du roquefort et veulent un fromage moins salé et moins fort. D’où ce nouveau produit, commercialisé depuis début avril par le groupe et qui, au premier coup d’œil, ressemble comme un frère au roquefort Société vendu par la Société des caves.

Deux nuances de bleu

Les emballages du nouveau Bleu de brebis Société, à gauche, et du bien connu Roquefort Société, à droite, entretiennent la confusion.

On s’y tromperait facilement. Les deux fromages arborent un emballage quasiment identique : même boîte en plastique, même logo « Société » dans son ovale vert. Sauf que le premier est issu de lait de brebis pasteurisé et ne respecte en rien le cahier des charges de l’AOP roquefort. Il est aussi vendu nettement moins cher que le second (1,90 € pour une tranche de Bleu de brebis contre 2,50 € pour du Roquefort Société).  

De quoi susciter la colère de José Bové, qui a dénoncé cette confusion des genres au cours de la conférence de presse organisée par l’ancien éleveur (et toujours député européen) le 9 avril dernier. « Regardez cette étiquette, un bleu de brebis avec Société en logo. Depuis des années, en France mais aussi en Europe, ce logo veut dire roquefort. Aujourd’hui, c’est un ersatz. Pour le consommateur, ce sera du roquefort mais qui n’est pas du roquefort. C’est du Canada dry ! » Même son de cloche au syndicat CFDT Roquefort et lait de brebis qui déplore lui aussi la « cannibalisation » de l’AOP la plus ancienne de France par le tout puissant groupe mayennais : « Pour nous, la marque Société ce n’est que du roquefort. Nous ne voulons pas de produit dérivé avec "Société" écrit dessus parce que le consommateur va être perdu. »

Mais ce sont surtout ses conditions de production qui inquiètent les producteurs. « Ce "Bleu de brebis" n’a aucun cahier des charges. Ils peuvent prendre du lait de n’importe où et le faire n’importe où », déclarait Ghislaine Fabre, responsable de la CFDT à Roquefort-sur-Soulzon (12), le 10 avril dernier, sur les ondes de France Bleu. Pourtant, la Confédération générale du roquefort, qui regroupe les producteurs de lait et les transformateurs, est restée jusqu’ici bien silencieuse. « Notre conseil juridique examine la validité de l’étiquetage du bleu de brebis au plan réglementaire », se contente de préciser Cécile Arondel-Schultz, la secrétaire générale de la Confédération. « En fonction de ses conclusions, l'Institut national des AOP (Inao) pourrait être saisi du dossier. »

Une atteinte de plus aux AOP

Reste que la stratégie est toujours la même : à coup de rachat d’entreprises, un grand groupe industriel s’arroge une position dominante sur une AOP (camembert de Normandie, comté, reblochon, bleu d’Auvergne, brie de Meaux, fourme d’Ambert, ossau-iraty…) afin d’en utiliser la notoriété pour écouler ses produits industriels standardisés et atypiques. Une manière de berner les consommateurs peu avertis. Un processus qui rappelle étrangement la crise qui secoue depuis des années le camembert de Normandie, où le même Lactalis a réussi à faire accepter l’usage de lait pasteurisé dans la future AOP afin de pouvoir le produire à très grande échelle dans ses usines ultra-automatisées. Tout le contraire de l’esprit des AOP ! 

Face à la destruction systématique de nos produits traditionnels et de notre savoir-faire ancestral à coup de détournements marketing inacceptables par l’industrie agroalimentaire, il est grand temps que les pouvoirs publics réagissent et protègent efficacement ce patrimoine par une réglementation plus rigoureuse, le système des AOP ayant montré ses limites. Quant aux consommateurs, la balle est dans leur camp : à eux de faire la différence !

Florence Humbert

Florence Humbert

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