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Santé

Entretenir sa mémoire au jour le jour

S’il n’y a pas une recette miracle pour améliorer sa mémoire, notre mode de vie a un impact très concret sur nos réseaux neuronaux. Occupations du quotidien, activité physique ou alimentation : que disent les neurosciences de notre art de vivre ?

Apprentissage et vie sociale - La curiosité est un excellent défaut

Nous ne vieillissons pas tous de la même façon et cela s’applique aussi à la mémoire. Certains résistent mieux que d’autres au déclin des fonctions cognitives. Pour les spécialistes, cette disparité serait associée à l’importance de nos ressources ou « réserves cérébrales ». En partie déterminées par le parcours de vie, elles permettent en quelque sorte de « donner le change » même si l’on n’est plus aussi performant qu’auparavant.

Un capital à faire fructifier

Cette notion de réserve est née de l’observation post mortem de cerveaux dans les années 1980. Ceux-ci présentaient des lésions avancées de la maladie d’Alzheimer alors même que les individus ne présentaient pas de symptômes ! Comme si l’entrée dans la maladie avait été différée grâce à l’effet protecteur d’une réserve. Cette dernière est défi nie d’une part comme le stock de neurones et de synapses dont nous disposons (réserve passive ou cérébrale) et d’autre part comme une capacité à recruter efficacement ses réseaux neuronaux (réserve active ou cognitive). Ces ressources retardent l’expression de la maladie, mais elles permettent également de mieux résister aux effets du vieillissement normal du cerveau.

De nombreuses recherches sont entreprises pour identifier les facteurs qui contribuent au développement de ces ressources. Le lien avec le niveau d’éducation et la profession exercée est assez établi. La diminution d’incidence (nombre de nouveaux cas) de la maladie d’Alzheimer chez les femmes ces dernières années est d’ailleurs attribuée à leur accès aux études. Divers paramètres sont passés au crible, isolément ou de façon combinée : loisirs, vie sociale, activité physique, alimentation, mais aussi bilinguisme ou départ tardif à la retraite.

De l’entraînement cognitif...

Peut-on muscler son cerveau ? L’analogie avec l’activité physique n’est pas dénuée de sens : les stimulations liées à l’éducation « font gonfler » la matière grise. Alors pourquoi pas l’entraînement cognitif ? Les exercices et les jeux sur papier ou sur écran ont certes des effets positifs, mais seulement dans le domaine travaillé (mémoire, raisonnement, attention, etc.). Il n’y a malheureusement pas de transfert notable d’une compétence à une autre ni, surtout, dans la vie quotidienne. Retenir des listes de mots n’aiderait pas à retrouver le prénom des petits-enfants de ses amis, jouer aux échecs exerce l’anticipation spatiale mais ne faciliterait pas la programmation d’un itinéraire.

... aux stimulations de la vie quotidienne

Plus qu’un entraînement « désincarné » et répétitif, les neuro scientifiques prônent aujourd’hui un style de vie actif, dans lequel comptent la qualité des loisirs et des interactions sociales, le bien-être psychique ou l’entretien physique. Finalement, il faudrait « entraîner » ce qu’on souhaite préserver : une vivacité d’esprit et une réactivité mobilisant la mémoire prospective (mémoire des actions à réaliser au présent et dans le futur), et des fonctions dites exécutives, qui permettent de gérer la vie de tous les jours, de faire des projets, de s’adapter aux imprévus, d’échanger et d’interagir en ajustant nos décisions et nos actions.

En pratique
Il n’est pas question de bouleverser son quotidien ou de se lancer dans des activités qui ne nous correspondent pas. Il s’agit plutôt de maintenir des occupations et des relations qui ont tendance à s’étioler avec le temps, de moduler ses habitudes à petits pas comme on le fait pour l’alimentation ou l’exercice physique, de ne pas s’enfermer dans des routines. Les spécialistes valorisent la nouveauté, l’exigence intellectuelle et les interactions sociales pour entretenir ses fonctions cognitives. Le voyage est souvent cité en modèle, mais si vous êtes urbain et plutôt sédentaire, une simple randonnée vous stimulera autant qu’un périple lointain. L’ouverture aux autres est mise en avant, mais la qualité affective et intellectuelle de quelques liens compte certainement plus qu’un réseau étendu et superficiel.

L’intellect ne s’exerce pas seulement en étudiant ou en lisant. En effet, réparer une moto ou gérer la logistique d’une association d’aide alimentaire sollicitent aussi les fonctions cognitives. Enfin, quelle que soit l’activité menée, le plaisir reste un critère essentiel : le caractère agréable n’a pas en soi de vertus scientifiquement démontrées, mais c’est la plus efficace des motivations !

Activité physique - S’oxygéner la tête

Le lien entre l’activité physique et le déclin cognitif est très étudié, avec des constats variables allant d’un encourageant effet protecteur à une décevante absence d’impact. La question du sens de la relation se pose : l’activité préserve-t-elle du déclin cognitif ou est-ce parce que nous jouissons d’une bonne santé cérébrale que nous nous activons plus ? Quoi qu’il en soit, la majorité des travaux sont plutôt positifs et l’impact de l’activité physique sur la qualité du vieillissement (bien-être, autonomie, santé cardiovasculaire, etc.) est par ailleurs indiscutable.

Une activation chimique

Selon les hypothèses des chercheurs, l’activité physique stimulerait le potentiel de plasticité cérébrale (voir encadré ci-dessous) en augmentant le flux de sang dans le cerveau (angiogenèse), en stimulant la libération de neurotransmetteurs (noradrénaline, dopamine), en créant des conditions favorables au renforcement des connexions neuronales (plasticité synaptique) et au renouvellement des neurones (neurogenèse). L’imagerie cérébrale montre ainsi que les hippocampes, supports de la mémoire à long terme, augmentent de volume après un an d’exercice de type aérobie et qu’ils s’activent mieux dans les tâches de mémoire. Ceci pourrait être le signe d’une intégration performante des nouveaux neurones aux circuits existants.

À ces processus s’ajoute la composante cognitive de l’activité physique. Ainsi, la danse, les arts martiaux ou les sports collectifs, pour ne citer que des exemples parlants, font appel à l’attention, à la mémoire ou aux fonctions exécutives (anticipation, adaptation, attention sélective, etc.) au même titre que tout apprentissage.

Des effets bénéfiques indirects

L’activité physique améliore l’irrigation sanguine du cerveau et régule la pression artérielle. Elle contribue ainsi à la prévention des lésions vasculaires cérébrales qui peuvent elles-mêmes conduire à des troubles cognitifs, voire à des démences. Elle prévient le diabète de type 2, améliore le sommeil dont les effets sur la mémoire sont établis, peut modérer le stress, voire les symptômes dépressifs, tous en lien avec nos capacités mnésiques. Enfin, très concrètement, une bonne condition physique prévient les chutes et permet de préserver sa mobilité, une liberté de mouvement précieuse pour vieillir sereinement.

En pratique
Dans les études, les bienfaits sur le cerveau sont généralement liés à des activités de type aérobie. Ce sont des exercices d’endurance d’intensité modérée comme la marche soutenue, la natation, le vélo ou le jogging. La régularité est le point sensible : 45 minutes 3 fois par semaine ou 30 minutes 5 fois par semaine, peu importe comment on compose son programme, l’essentiel est d’être assez motivé pour s’engager dans la durée. Comment tenir ses résolutions ? Voici quelques conseils, parmi les plus classiques : pratiquer près de chez soi, à plusieurs (c’est stimulant) mais aussi seul (plus facile à mettre en place), varier les activités et les niveaux pour s’autoriser des alternatives douces, se souvenir des sensations positives des séances précédentes, planifier en étant précis (bloquer les séances dans l’agenda, se fixer des objectifs, utiliser un podomètre, par exemple), etc.

Alimentation - Quel festin pour vos neurones ?

Pour fonctionner avec efficacité, le cerveau a besoin de nutriments (glucides, protéines, lipides dont les oméga 3) et de micronutriments (vitamines, sels minéraux, composés végétaux antioxydants) en quantités adéquates. Toutefois, aucun aliment n’a le pouvoir d’améliorer la mémoire.

Un modèle nutritionnel

Plusieurs études suggèrent que le régime méditerranéen, connu pour ses bienfaits cardiovasculaires, aurait un effet protecteur sur le déclin cognitif. L’une d’elles (Predimed, 2015) a comparé les performances cognitives de sujets âgés ayant suivi pendant quatre ans soit un régime méditerranéen, soit un régime pauvre en graisses. Ceux qui avaient adopté une alimentation méditerranéenne ont vu leur score de performance s’accroître légèrement tandis que les autres accusaient un certain déclin. Même si les participants étaient peu nombreux, les résultats de cette étude vont dans le sens d’un effet préventif du modèle nutritionnel méditerranéen.

En pratique
Le régime méditerranéen n’est pas contraignant. Il s’agit plutôt d’une façon saine d’équilibrer son alimentation, adaptable aux goûts de chacun et propice à une modération calorique. On retrouve d’ailleurs plus ou moins les mêmes principes dans d’autres « régimes » vertueux comme celui d’Okinawa et, a fortiori, dans une variante appelée régime Mind (Mediterranean-Dash Intervention of Neurodegenerative Delay), qui met plus particulièrement l’accent sur la réduction du sel (prévention de l’hypertension), les légumes à feuilles vertes et les baies.

Dans ses grandes lignes, le régime méditerranéen privilégie les aliments non transformés et place les végétaux au premier plan : fruits frais et oléagineux (dont les noix), légumes, légumineuses, céréales complètes. Le poisson (dont les poissons gras, sources d’oméga 3) est consommé plus souvent que la viande, l’apport en produits laitiers est modéré. La matière grasse de base est l’huile d’olive (en majorité insaturée, les graisses saturées étant à limiter), à compléter par de l’huile de colza ou de noix pour les oméga 3. Le vin fait partie du modèle méditerranéen, modérément bien sûr.

La baisse d’audition, un facteur de risque facile à corriger

Fréquente avec l’âge, la baisse d’audition peut mener à un repli sur soi, à un isolement qui favorise les symptômes dépressifs mais également le déclin cognitif. Ce lien avec la diminution des performances a fait l’objet de plusieurs études. L’une d’elles, publiée en 2015 par l’Inserm, s’appuie sur le suivi de 3 772 sujets de plus de 65 ans. Elle conclut que le déclin est accéléré par la perte d’audition. Exception : chez les personnes appareillées, le déclin est alors comparable à celui des sujets sans perte auditive. On sait par ailleurs que, plus on attend pour s’équiper d’audioprothèses, plus l’adaptation est difficile et longue. Non sollicitées, les zones du cerveau dédiées à l’audition deviendraient moins fonctionnelles...

À retenir
Si vous êtes gêné dans les ambiances bruyantes, si vous avez du mal à comprendre les dialogues de films ou si vous faites souvent répéter les personnes de votre entourage, n’attendez pas trop pour prendre rendez-vous avec un ORL.

Notre cerveau est une matière plastique

Le cerveau a une propriété étonnante : il se reconfigure continuellement en fonction de notre vécu.

Le cerveau n’est pas un organe fi gé, ayant un stock de neurones et des connexions immuables. Sous l’effet de nos expériences, de nos interactions avec l’environnement, ses réseaux se modifient en permanence, et des neurones peuvent même se renouveler localement. Cette dynamique est particulièrement intense durant l’enfance, période d’apprentissages majeurs, mais elle perdure tout au long de la vie. La découverte de cette « plasticité cérébrale » s’est progressivement imposée dans la deuxième moitié du XXe siècle en suscitant de grands espoirs. Si la vie que nous menons, avec ses composantes intellectuelles, physiques, sociales ou émotives, peut moduler nos circuits cérébraux, ce potentiel peut théoriquement être exploité pour freiner le déclin des fonctions cognitives (dont la mémoire), voire pour traiter des maladies neurodégénératives comme celle d’Alzheimer.

Les traces de la mémoire
La communication entre les neurones (les cellules nerveuses) s’effectue au travers de zones de jonction appelées synapses. Lorsqu’un neurone est activé, il émet son message à un autre neurone grâce à des substances appelées neurotransmetteurs. Nos milliards de neurones sont chacun reliés à des milliers d’autres neurones, et ce sont ces milliards de connexions qui nous permettent de percevoir, d’apprendre, de mémoriser, de décider et d’agir. Ces synapses ont une propriété : elles se modifient et se renforcent sous l’effet des activations neuronales – elles sont plastiques au sens de « transformables ». Nos souvenirs – apprentissages ou événements de notre vie – laissent donc une trace « matérielle » dans nos circuits, et cette plasticité dite synaptique fait que chaque cerveau est unique. On a longtemps cru que les neurones ne se renouvelaient pas. On sait désormais qu’ils peuvent se former tout au long de la vie. C’est notamment le cas dans des zones reliées à la mémoire – le bulbe olfactif, impliqué dans la mémorisation des odeurs, et, surtout, l’hippocampe. Une partie de ces neurones devient fonctionnelle en se connectant aux réseaux existants, et des études de laboratoire suggèrent que l’environnement de vie peut stimuler cette neurogenèse.

La plasticité à l’œuvre
Des expériences menées sur des souris adultes montrent qu’un environnement enrichi (roue d’activité, jeux renouvelés, présence de congénères, etc.) améliore l’apprentissage. Inversement, un milieu de vie pauvre (isolement, obscurité, cage vide, etc.) ou anxiogène (souris conditionnées à la peur) a un effet négatif. Chez l’homme, des observations réalisées sur des musiciens professionnels (violonistes) et des chauffeurs de taxis londoniens montrent que la zone du cerveau sollicitée par l’activité (les mouvements des doigts chez les musiciens, la mémorisation spatiale chez les chauffeurs) est plus développée que chez les non-musiciens ou chez les mêmes chauffeurs mais avant leur apprentissage des rues londoniennes.

Activer d'autres circuits
Plus globalement, de nombreuses études évoquent un lien entre l’apprentissage et la formation d’une réserve cognitive protectrice. Après un accident, le remodelage des circuits nerveux participe à la récupération. La perte de la parole à la suite d’un accident vasculaire cérébral ayant endommagé l’aire du langage, par exemple, peut en partie être compensée par l’activation d’autres circuits. Les procédures de rééducation cherchent à tirer profit de ce potentiel. Ce recyclage s’observe aussi chez les aveugles de naissance, les zones dédiées à la vision étant réaffectées à d’autres fonctions comme le sens du toucher (lecture braille) ou la localisation auditive.

L’approche « vie entière »

Pour étudier les facteurs protecteurs ou à risque, les scientifiques s’intéressent de plus en plus au parcours de vie et pas uniquement au profil de santé après 50-60 ans ou dans les années précédant un diagnostic de démence. On connaît l’effet protecteur du niveau d’études et d’éducation. Des recherches suggèrent que l’hypertension et l’obésité seraient néfastes pour le cerveau dès l’âge de 40-50 ans, voire avant. En parallèle, des essais évaluant plusieurs facteurs se développent. Le lien entre une seule mesure (l’exercice physique, par exemple) et la prévention est inconstant. Aussi, les chercheurs testent plusieurs paramètres simultanément (exercice + activités cognitives + supplémentation en oméga 3, par exemple), avec l’espoir de mettre en évidence des associations plus solides entre nos comportements et le vieillissement cérébral du fait, peut-être, d’un effet cumulatif des facteurs protecteurs.

Bon pour le cœur, bon pour la tête

Les maladies cardiovasculaires affectent le cerveau car l’obstruction ou la rupture d’une artère cérébrale (responsable d’accidents vasculaires cérébraux) peuvent laisser des séquelles cognitives. Ces accidents sont parfois silencieux : ils ne donnent pas ou peu de symptômes, mais provoquent des microlésions et ont tendance à récidiver. Les facteurs de risque vasculaire s’appliquent donc aussi à la santé cérébrale. La relation entre hypertension et troubles cognitifs est clairement établie. L’excès de pression artérielle induit des lésions des petites artères cérébrales à l’origine d’une perte progressive de mémoire et d’autres défaillances. Il favorise également la formation des plaques amyloïdes caractéristiques de la maladie d’Alzheimer. Le tabagisme, mauvais pour les vaisseaux sanguins, se révèle aussi directement toxique pour les neurones. Le diabète et l’obésité affectent les fonctions cognitives en raison de leurs complications vasculaires, mais aussi, probablement, par le biais de dérèglements métaboliques. Si vous prenez soin de votre cœur et de vos artères (voir supplément au Q.C. Santé n° 111, décembre 2016), votre cerveau vous remerciera.


Merci à Séverine Sabia, chercheur dans l’équipe « Épidémiologie du vieillissement et des maladies liées à l’âge » de l’unité de recherche U1018 de l’Inserm.
Francis Eustache, directeur d’études à l’EPHE et de l’unité de recherche de l’Inserm « Neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine », président du conseil scientifique de l’Observatoire B2V des mémoires.

Hélène Amieva, directrice du centre de recherche U1219 de l’Inserm « Psychoépidémiologie du vieillissement et des maladies chroniques ».
Anne Cogos

Anne Cogos

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