ACTION UFC-QUE CHOISIR
Services bancaires

Analyse de l'exclusion bancaire des particuliers, par Georges Gloukoviezoff(1), du centre Walras.

L'exclusion bancaire est relativement ignorée tant par les recherches portant sur le domaine de l'exclusion sociale et de la pauvreté que par celles s'intéressant au secteur bancaire. Afin de combler ces carences plusieurs études ont été menées. Elles s'appuient sur plus d'une cinquantaine d'entretiens menés auprès des personnes confrontées à l'exclusion bancaire et autant auprès de salariés de différents réseaux bancaires en contact avec cette clientèle.

L'objectif est de proposer une définition opérationnelle de l'exclusion bancaire et de mettre en lumière quels en sont les mécanismes et les conséquences sociales.

L'exclusion bancaire : un besoin de définition

Un thème médiatique mais peu clair

Premier constat lorsque l'on s'intéresse à l'exclusion bancaire, c'est une thématique apparue récemment dans le débat public mais qui connaît une attention croissante. Ainsi en est il fait mention dans la loi de lutte contre les exclusions de 1998 mais aussi au niveau européen, à propos du surendettement, dans le programme d'action communautaire de lutte contre l'exclusion sociale 2002-2006. Au cours du premier semestre 2004, elle a également occupé le devant de la scène à l'occasion de la mise en place de la procédure de rétablissement personnel et du débat qui a eu lieu au mois de juin sur la responsabilité des établissements bancaires dans le développement de ce phénomène. À cette dernière occasion, le chiffre de 5 millions de personnes concernées par l'exclusion bancaire a été avancé. Mais que recouvre véritablement ce chiffre ?

Des chiffres contradictoires ?

Face à ce chiffre de 5 millions de personnes, il est souvent opposé que l'exclusion bancaire est en réalité un phénomène extrêmement marginal dans la mesure où 99% des ménages français ont accès à un compte. Cependant, ce chiffre ne porte que sur les ménages (ignorant la situation des différentes personnes au sein des ménages), mêle les différents types de compte alors qu'un compte sur livret n'offre pas les mêmes facilités qu'un compte de dépôt, et oublie les autres services bancaires tout aussi nécessaires. De plus, en ne considérant que ce chiffre, l'exclusion bancaire est limitée à l'impossibilité d'accès au compte bancaire alors même que les difficultés qui se traduisent par l'interdiction bancaire (2,5 millions de personnes concernées en 2003) et le dépôt d'un dossier de surendettement (170 000 dossiers déposés en 2003 et 700 000 dossiers en cours) en sont des symptômes évidents. Dès lors, si estimer le nombre de personnes concernées par l'exclusion bancaire à 5 millions n'est pas aberrant, il est nécessaire d'adosser cette estimation à une définition précise.

Une définition qui dépasse la simple impossibilité d'accès

L'exclusion bancaire est un phénomène plus complexe qu'il n'y paraît. Elle mêle à la fois des difficultés d'accès aux services bancaires (ne se limitant pas au seul compte bancaire) et les difficultés d'usage de ces mêmes services. Dès lors, sachant que ce sont les conséquences sociales de cette exclusion qui justifient l'intérêt qui lui est porté, la définition suivante peut être retenue :

L'exclusion bancaire est le processus par lequel une personne rencontre de telles difficultés d'accès et/ou d'usage dans ses pratiques bancaires, qu'elle ne peut plus mener une vie sociale normale dans la société qui est la sienne. Une situation d'exclusion bancaire n'est donc définissable que par rapport aux conséquences sociales des difficultés d'accès et d'usage qui la composent.

Une définition relative

L'une des implications immédiates de cette définition est que l'exclusion bancaire ne peut être définie de manière absolue. C'est un phénomène qui doit être considéré en relation avec la société dans laquelle il prend place. Ainsi, les conséquences sociales d'une impossibilité d'accès au compte bancaire ne seront pas les même en France où il est indispensable pour percevoir salaire et prestations sociales, au Royaume Uni où cette perception est possible en liquide, et en Inde où l'immense majorité de la population ne dispose pas de compte bancaire.

Exclusion bancaire - exclusion sociale : quelles causalités ?

Pour définir ou repérer les situations d'exclusion bancaire, il est nécessaire de considérer les conséquences sociales des difficultés d'accès et d'usage que rencontrent les personnes dans leurs pratiques bancaires. Cela suppose de ne plus considérer l'exclusion bancaire comme une simple conséquence de la pauvreté comme c'est généralement le cas, mais comme un facteur à part entière d'exclusion sociale.

La mise en cause de l'estime de soi

Toutes les personnes ne réagissent pas de la même manière face aux difficultés bancaires. Certaines parviennent à faire face grâce à leurs connaissances et surtout à leur motivation (les mères célibataires disent souvent « avoir tenu pour leurs enfants »). Le plus grand nombre a soit une attitude de défiance à l'égard de la banque en refusant de tenir leurs comptes ou en étant agressif au guichet, soit une attitude de culpabilité qui passe par la volonté d'honorer leurs dettes "à tout prix" quitte à mettre en péril leur gestion et à ne pas solliciter d'aide de la part de leur banquier ou de leurs proches pour ne pas perdre leur dignité. Dans ce dernier cas, c'est l'estime de soi, premier maillon du lien social, qui est mise à mal. Les femmes sont les plus affectées par ces difficultés car elles estiment souvent être responsables du bien être de leur famille.

Des conséquences économiques dramatiques

Pour préserver cette dignité ou tout simplement par absence d'autres choix, les comportements adoptés entraînent des coûts (frais, produits de substitution, etc.), la destruction de l'épargne et le renoncement aux assurances et aux dépenses de santé. L'exclusion bancaire est ainsi un facteur d'appauvrissement particulièrement important. Viennent s'ajouter à cela les difficultés pour percevoir et conserver ses ressources et la tentation de recourir à l'économie parallèle pour alléger la pression de la dette, autant de facteurs d'exclusion sociale.

La mise en péril du lien social

Enfin, ce sont les amis et la famille qui s'éloignent ou que l'on cesse de voir ou de solliciter par honte. Progressivement, l'exclusion bancaire met à mal les liens familiaux et amicaux qui sont pourtant déterminant pour limiter les conséquences sociales des difficultés financières.

L'exclusion bancaire a ainsi un effet négatif sur l'estime de soi, les liens amicaux et familiaux, et les liens économiques qui permettent la participation à la société, autrement dit, sur les différentes composantes du lien social. Bien sûr, toutes les personnes confrontées à des difficultés bancaires ne connaissent pas l'ensemble de ces conséquences. Il est vrai aussi que ces conséquences sont communes avec d'autres difficultés comme le chômage ou le divorce. Mais parce qu'elle concerne l'argent et le budget et que par ce biais elle a des effets sur la quasi-totalité des aspects de la vie des personnes qu'elle touche, l'exclusion bancaire est un maillon essentiel du processus plus large d'exclusion sociale.

Les mécanismes de l'exclusion bancaire : la qualité de la relation bancaire au coeur du processus

Généralement, le secteur bancaire décline toute responsabilité en matière d'exclusion bancaire. Si ce phénomène existe, ce serait en raison de l'appauvrissement de la population et les banques ne pourraient que le constater et en aucun cas y remédier. Pointer le rôle de la pauvreté ou de la précarité économique dans le développement de l'exclusion bancaire est tout à fait exact. Cependant en faire l'élément explicatif unique est plus que simpliste.

Des stratégies d'évitement de la part des banques...

Si les banques expliquent l'exclusion bancaire par la précarité et la pauvreté auxquelles est confrontée une partie de leur clientèle, c'est parce qu'elles estiment que ces clients présentent un niveau de risque incompatible avec l'établissement d'une relation bancaire. C'est ce niveau de risque qui explique les pratiques de sélection mises en place. Ainsi, de nombreux réseaux bancaires refusent l'ouverture d'un compte de dépôt à une personne bénéficiaire de minima sociaux ou travaillant en intérim. De même, peu de réseaux maintiennent encore leurs agences dans certaines banlieues urbaines marquées par la précarité. Si ces stratégies d'évitement ne se traduisent pas par un nombre colossal de personnes ne disposant pas de compte bancaire, ce n'est pas dû à la procédure légale de droit au compte mais bien en raison du rôle de « service public de fait » joué par La Poste.

... ou de rentabilisation des clients aux ressources modestes

Face à des clients ayant un profil « limite », la stratégie est d'accorder l'ouverture du compte en contrepartie de la souscription à un certain nombre de produits rentables pour la banque. Ainsi, il est quasiment impossible d'ouvrir un compte uniquement avec un chéquier. Il est nécessaire de souscrire à un package. De même, il est fréquemment demandé d'ouvrir parallèlement au compte de dépôt des produits d'épargne bloquée, particulièrement rentables... pour la banque. Et lorsque le client est déjà présent au sein de ces réseaux bancaires quand il rencontre des difficultés sociales (chômage, divorce, maladie...), d'autres pratiques sont mises en oeuvre. Ainsi, en cas d'incident le maximum de frais est facturé. Il est d'ailleurs quasiment impossible de négocier leur montant lorsque le client n'est pas jugé assez intéressant par la banque. Et lorsqu'il est jugé totalement inintéressant, l'interdiction bancaire devient un bon moyen pour s'en séparer. Ces pratiques peuvent même parfois dépasser le cadre légal en ne respectant pas le plan de surendettement ou l'insaisissabilité de certaines ressources.

Des pratiques aggravantes de la part des clients

Face à ces pratiques bancaires, les clients adopteront différents types de réaction. Deux des principales qui ont été identifiées sont l'auto-exclusion et la mise en retrait de la relation bancaire.

L'auto-exclusion

Concernant l'auto-exclusion, il s'agit pour les clients de ne plus solliciter leur banque pour certains produits comme la carte de paiement ou bien des crédits. En effet, soit ils ont assimilé que ces produits ne sont « pas pour eux » ou bien ne leur seront pas accordés, soit ils les estiment trop risqués aux vues des pratiques des banques (par expérience ou non). Ils vont donc préférer s'exclure d'eux-mêmes... en apparence. Le fait de retirer l'intégralité de ces prestations sociales lorsqu'elles sont versées sur le compte est sans doute la forme d'auto-exclusion la plus poussée en France dans la mesure où renoncer au compte est quasiment impossible. La principale cause d'absence de possession de services bancaires semble d'ailleurs être l'auto-exclusion et non les pratiques explicites de sélection des banques.

La mise en retrait de la relation bancaire

Concernant la mise en retrait de la relation, les clients renonceront à solliciter leur banquier en cas de difficultés en raison des pratiques réelles ou supposées de ce dernier. Ainsi, confronté au chômage et à la difficulté de combler son découvert, et de peur que son banquier lui retire ses moyens de paiement en apprenant sa situation, le client pourra préféré s'adresser à un établissement de crédit spécialisé pour obtenir un crédit revolving. Cette « solution » est malheureusement extrêmement risquée (coût élevé, absence de suivi, méthodes de recouvrement particulièrement rudes) et ce n'est pas une surprise de constater que 80% des dossiers de surendettement comportent ce type de prêts.

Ainsi, que ce soit en termes de difficultés d'accès ou d'usage, le comportement des clients joue également un rôle dans le développement de situation d'exclusion bancaire.

Une responsabilité partagée

Suite à ce constat, il apparaît qu'il n'est pas possible de trouver une causalité unique à l'exclusion bancaire. Bien sûr la pauvreté joue un rôle dans le développement de ce processus mais seulement en relation avec la manière dont elle est prise en compte par le secteur bancaire. Bien sûr, les clients ne préviennent pas assez tôt leur banquier et/ou recourent aux crédits revolving lorsqu'ils rencontrent des difficultés, mais c'est en grande partie dû aux pratiques de rentabilisation des banques.

Seule l'amélioration de la qualité de la relation bancaire c'est-à-dire l'adaptation des services et de la manière de les vendre aux besoins spécifiques de la clientèle confrontées à la précarité, peut permettre de limiter le niveau de risque de ces clients et ainsi les surcoûts et la sélection qu'ils subissent. Le problème est que cette adaptation a un coût notamment en personnel et en temps, et qu'elle se heurte aux évolutions à l'oeuvre au sein du secteur bancaire que sont la rationalisation et l'automatisation du service proposé. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si La Poste où l'esprit de service public est encore présent, et certains établissements mutualistes dont les Caisses d'Épargne sont les établissements dont les pratiques contribuent le moins à l'exclusion bancaire et permettent même parfois de la limiter.

Face à l'exclusion bancaire, il ne suffit donc pas de lutter contre la pauvreté. Si l'exclusion bancaire est l'un des thèmes du débat plus large concernant la pauvreté et l'exclusion sociale, elle a ses propres conséquences et ses propres mécanismes (2).

(1) Georges Gloukoviezoff est chercheur au Centre Walras - Lefi (Université Lyon 2). Pour de plus amples informations sur ce sujet voir Gloukoviezoff G. (éd.), (2005), Exclusion et liens financiers. Rapport du Centre Walras 2004, Paris : Economica, voir également, Gloukoviezoff G., (2004), « L'exclusion bancaire et financière des particuliers » in Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, Les travaux de l'Observatoire, Paris : La Documentation Française, pp. 167-205.

(2) Concernant les possibilités de réponses à apporter au processus d'exclusion bancaire voir les références proposées en note 1 (plus spécifiquement le rapport du Centre Walras 2004).

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