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Antidouleur

Les dangers méconnus du tramadol

Il est addictif, sédatif et potentiellement mortel en cas de surdose. Pourtant, le tramadol est trop souvent prescrit et perçu comme un médicament anodin. Ce qu’il n’est absolument pas.

Sur le marché français, pas moins de 106 spécialités contiennent du tramadol. Ce nombre illustre l’engouement qui existe depuis une dizaine d’années pour cet antidouleur, commercialisé sous le nom de Contramal, Bioalgic, Ixprim et de nombreuses marques génériques. Malgré un usage massif, qui concerne plus de 5 millions de patients, les risques comme les précautions d’emploi de cet opioïde (de la même famille que la codéine et la morphine) sont encore trop ignorés. Un sondage mené par l’Observatoire français des médicaments antalgiques (Ofma) publié en 2022 montrait que 3 personnes sur 4 prenant du tramadol ne connaissent pas la dose maximale journalière (400 mg). Et 9 personnes sur 10, soit la quasi-totalité d’entre elles, ignorent aussi le risque d’arrêt respiratoire lié à une surdose, alors que cet effet indésirable peut être mortel. Les résultats de cette enquête rappellent « la nécessité de mieux informer les patients », concluait l’Ofma.

Nausées, somnolence, convulsions, euphorie…

Outre le risque d’arrêt respiratoire, la prise de tramadol expose les patients à de nombreux effets indésirables. Les nausées, vomissements et constipation sont bénins mais fréquents. Somnolence, vertiges et diminution de la pression artérielle peuvent provoquer des chutes ou des accidents. Des convulsions, hypoglycémies et troubles cardiaques sont plus rares mais graves. Des effets indésirables psychiatriques peuvent aussi survenir, avec des modifications de l’humeur (euphorie le plus souvent), une diminution des capacités cérébrales… Ces effets favorisent le risque d’abus : les personnes qui prennent du tramadol ne le font alors pas ou plus pour soulager une douleur mais pour obtenir une sensation de bien-être, de détachement. Pour « continuer à vivre normalement », disent certaines d’entre elles.

Une substance très addictive

Comme tout opioïde, le tramadol expose à un risque de dépendance : le corps s’y habitue. Cette dépendance peut s’installer dès 7 jours de traitement et le risque augmente avec la durée des prises, même si l’on ne dépasse pas les doses recommandées. Conséquence de cette dépendance : l’arrêt est difficile. En cas d’arrêt brusque, un syndrome de manque ou de sevrage survient. Douloureux, proche de celui provoqué par l’héroïne, il s’exprime par des symptômes tels qu’anxiété, insomnie, agitation, tremblements, diarrhées, etc. Pour l’éviter, il ne faut pas cesser de prendre du tramadol du jour au lendemain, mais diminuer très progressivement les doses, par paliers, sur plusieurs semaines si besoin, et de préférence avec l’accompagnement d’un médecin.

Autre problème en cas d’utilisation prolongée, le tramadol perd aussi en efficacité : c’est ce qu’on appelle l’accoutumance. Cela conduit au fil du temps à augmenter la quantité consommée pour maintenir l’effet recherché. Un cercle vicieux s’installe et l’augmentation des doses peut mener à des surdoses involontaires, responsables d’arrêts respiratoires.

Par ailleurs, « il y a des risques d’interaction médicamenteuse », ajoute le Dr Maryse Lapeyre-Mestre, pharmacologue au CHU de Toulouse : « par exemple, la prise concomitante de tramadol et de certains antidépresseurs peut provoquer un syndrome sérotoninergique », un ensemble de troubles potentiellement mortels.

Réduire l’usage

En raison de tous ces risques, les médecins ne devraient pas prescrire le tramadol à la légère, mais seulement dans les indications validées. Or, dans l’enquête de l’Ofma, les patients disaient prendre du tramadol principalement pour trois raisons : des douleurs de dos (lombalgies), des douleurs articulaires (arthrose) ou des maux de tête (dont des migraines). Ces chiffres témoignent d’un réel mésusage, car le tramadol n’est pas un traitement de premier recours ni des maux de dos ni de l’arthrose, pour lesquels il ne doit être envisagé qu’après l’échec des autres traitements antidouleurs. Et il est toujours déconseillé en traitement des migraines, d’une part parce qu’il est inefficace et d’autre part parce qu’il favorise d’autres types de maux de tête.

Pour autant, « le tramadol n’est pas un médicament à abattre, mais un médicament avec lequel il faut mieux faire », résume le professeur Nicolas Authier, chef du service de pharmacologie au CHU de Clermont-Ferrand et directeur de l’Ofma. Ce « mieux faire » consiste essentiellement à « moins faire » : moins souvent, moins longtemps et à moindre dose.

Les règles de bon usage du tramadol

Noms de marquePrécautions d’emploi
Tramadol à libération immédiate
Tramadol seul (50 et 100 mg)
Biodalgic
Contramal
Orozamudol
Topalgic
Takadol
Zumalgic
Et nombreux génériques

Tramadol (37,5 mg) + paracétamol
Ixprim
Zaldiar

Tramadol (75 mg) + dexkétoprofène
Skudexum
Ces formes à libération immédiate s’adressent aux douleurs aiguës (c’est-à-dire récentes, de moins de 3 mois) et intenses (correspondant à une évaluation de 6 ou plus sur une échelle de 10).

Le tramadol doit être prescrit pour la plus courte durée possible (14 jours maximum lors de la première prescription) et l’intérêt de le maintenir doit être réévalué par le médecin dans cet intervalle.

Les spécialités associant du tramadol à un autre antidouleur (paracétamol ou dexkétoprofène) ne sont pas plus efficaces que les deux pris séparément, mais augmentent les risques de surdose.
Tramadol à libération prolongée (LP)
Contramal LP
Monoalgic LP
Monocrixo LP
Topalgic LP
Zamudol LP
Et génériques
Ces formes plus dosées (100 à 300 mg) délivrent le tramadol plus lentement. Vérifiez la présence de la mention « LP » sur la boîte, car certains noms de marque sont les mêmes que les formes à libération immédiate. Il y a donc un risque de confusion.

Les formes LP ne doivent pas être utilisées en cas de douleurs aiguës. Elles peuvent être envisagées pour certaines douleurs chroniques (plus de 3 mois) si les autres traitements ont échoué.

Attention : le Monoalgic LP et le Monocrixo LP ne se prennent qu’une fois par 24 heures alors que les autres se prennent toutes les 12 heures.
(Liste non exhaustive)

Pas pour toutes les douleurs

Le tramadol a été autorisé pour les douleurs « modérées à intenses ». C’est ce que vous lirez sur la notice. Mais compte tenu des risques auxquels il expose, la Haute Autorité de santé en a un peu restreint l’usage. Dans ses recommandations de mars 2022, elle réserve tous les opioïdes, dont le tramadol, aux douleurs « sévères », c’est-à-dire celles qui correspondent à une estimation d’au moins 6 sur une échelle de 10.

Ceci implique que tout prescripteur devrait évaluer la douleur avant de prescrire un antalgique, a fortiori du tramadol. Cette évaluation se fait facilement grâce à une réglette telle que celle représentée ci-dessous : 0 correspondant à l’absence de douleur, 10 à la pire douleur imaginable. Le patient déplace le curseur et le médecin lit la correspondance en chiffres. Même sans réglette, le médecin (ou l’infirmière à l’hôpital) peut simplement poser la question : « Sur une échelle de 0 à 10, à combien évaluez-vous votre douleur ? »

Pour une douleur « modérée », évaluée entre 4 et 6 sur 10, le médecin doit commencer par prescrire des antidouleurs de première ligne comme le paracétamol ou l’ibuprofène. Ce n’est qu’en cas d’échec que le tramadol peut être envisagé. Même pour des douleurs intenses, supérieures à 6, la prescription de tramadol ne doit pas être automatique mais être réalisée en fonction de la nature de la douleur. Pour les maux de dos en particulier, il ne doit pas être donné en premier abord.

L’échelle visuelle analogique (EVA) permet de mesurer la douleur. Le patient déplace le curseur et le médecin lit la correspondance en chiffres.

Perrine Vennetier

Perrine Vennetier

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