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Mediator

Irène Frachon en mission

La pneumologue Irène Frachon a témoigné à la barre du procès du Mediator. C’est grâce à elle que ce scandale sanitaire a pu éclater. Son récit est révélateur des pratiques d’une époque pas si lointaine.

Devant le tribunal correctionnel de Paris, mercredi 16 octobre, Irène Frachon, témoin du jour, arrive concentrée, le regard rivé au sol. La pneumologue est celle par qui le scandale Mediator a éclaté. Son travail acharné pour démontrer la toxicité du Mediator (benfluorex) a abouti au retrait du médicament du marché français, le 30 novembre 2009, après 33 longues années de commercialisation. Au cours des 7 heures d'audience, elle rappellera à plusieurs reprises que la mémoire d'un autre scandale l'a guidée dans son combat : celui de l'Isoméride (dexfenfluramine), un autre anorexigène des laboratoires Servier. Retiré du marché mondial en 1997, il provoquait comme toutes les fenfluramines des hypertensions artérielles pulmonaires (HTAP), maladie rare mais « constamment mortelle », comme elle l'a constaté lors d'un stage en 1990 à l'hôpital Antoine-Béclère, à Clamart. « Les victimes de l'Isoméride n'ont jamais été indemnisées », insiste-t-elle. Ironie de l'histoire, aujourd'hui, les laboratoires Servier n'hésitent pas à pointer la prise d'Isoméride chez des consommateurs de Mediator pour tirer vers le bas les demandes de dédommagement.

Un danger pour les patients

Devenue pneumologue au CHU de Brest, Irène Frachon prend en charge les victimes de l'Isoméride, « presque toutes mortes ». C'est en 2007 que débute son cheminement vers la certitude que le Mediator, vendu comme antidiabétique, est lui aussi un anorexigène, de structure chimique proche de l'Isoméride, et à ce titre, dangereux pour les patients. « En février, nous avons reçu dans le service Joëlle, atteinte d'une HTAP grave. Elle était sous Mediator », explique Irène Frachon. Sa prise de conscience débute bien après les premières alertes de pharmacovigilance, notamment celle, en 1999, du Dr Georges Chiche, cardiologue, entendu la veille par le tribunal (voir l'encadré). C'est un autre temps, un autre processus.

Parenté confirmée avec l'Isoméride

Ce cas lui rappelle une conversation avec un confrère, en 1999. « Il m'avait parlé d'un cas d'HTAP chez une personne sous Mediator, un antidiabétique. » Surgit aussi le souvenir d'un article lu dans la revue médicale indépendante Prescrire. « Le Mediator y était vertement critiqué, et il était mentionné qu'il s'agissait d'un anorexigène. » La quête se concentre alors sur l'HTAP, mais peu de cas sont retrouvés dans la littérature. La base de pharmacovigilance n'est pas accessible. C'est quand un confrère cardiologue, le Dr Yannick Jobic, l'appelle au chevet de Martine, une infirmière de son service, hospitalisée en urgence pour deux valvulopathies gravissimes fuyantes, que l'hypothèse de la toxicité cardiaque du Mediator émerge. « Elle avait été sous Mediator six mois entre 2000 et 2007, détaille Irène Frachon. Je suis descendue au bloc, j'ai fait un truc simple, j'ai pris des photos de la valve amputée. » Elle sollicite parallèlement le Pr Patrick Bruneval, anatomopathologiste à l'hôpital européen Georges-Pompidou, à Paris. Son analyse de la valve conclut à des lésions évocatrices d'une valvulopathie aux anorexigènes. La parenté entre le Mediator et l'Isoméride se confirme. Mais les laboratoires Servier, interrogés, écartent totalement l'idée d'une similitude chimique. « Quand j'ai reçu leur mail, je me suis dit que je m'étais monté le ciboulot. »

Malgré tout, un doute subsiste : même si la norfenfluramine est présente à dose homéopathique dans le Mediator, un traitement au long cours a peut-être un effet délétère. Irène Frachon continue à prendre des photos, et s'inquiète de plus en plus. Une étape capitale est franchie quand tous les dossiers de valvulopathies de l'hôpital sont passés au crible. 11 cas graves, tous exposés au Mediator, sont détectés. « À chaque fois, c'était le même schéma : des femmes qui s'étouffent, se noient de l'intérieur par engorgement du cœur. Un sentiment d'urgence ne m'a plus quittée jusqu'au retrait du Mediator. »

La lanceuse d’alerte n’est pas seule

Les 11 cas sont déclarés, mais il ne se passe pas grand-chose. Un rendez-vous à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps, devenue ANSM depuis) n'aboutit à rien. Si ce n'est qu'elle y croise Catherine Hill, épidémiologiste, qui propose son aide pour une étude cas-témoins. C'est une constante dans cette épopée : Irène Frachon ne travaille jamais seule, elle sait s'entourer. Parfois, l'aide tombe du ciel. L'étude de l'assurance maladie qui montre à grande échelle l'impact du Mediator sur le risque d'hospitalisation est fournie par un cadre de l'assurance maladie dont l'identité reste secrète. Sa contribution est décisive dans la décision de retrait du médicament.

Pourquoi est-ce elle, pneumologue, qui a pris peu à peu la mesure du désastre ? La principale raison tient à la confusion des cardiologues avec des valvulopathies d'origine rhumatismale. L'apparition après-guerre des antibiotiques a pourtant eu raison du rhumatisme articulaire aigu. « Je n'ai pas eu l'impression d'avoir accompli un exploit scientifique, résume Irène Frachon. J'avais devant moi toutes les pièces cachées d'un puzzle. J'en ai froid dans le dos, et s'il n'y avait pas eu Joëlle, et s'il n'y avait pas eu Prescrire, aurais-je continué ? » Depuis la fin du Mediator, Irène Frachon s'est défait de ses liens avec les laboratoires pharmaceutiques. Elle a quitté le CHU de Brest car le centre de référence pour lequel elle y travaillait vivait de leur financement. Elle exerce désormais à l'hôpital de Carhaix.

Le cas Chiche

On l'appelle le « cas Chiche », d'abord parce qu'il a notifié à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) le premier cas de pharmacovigilance lié au Mediator, en 1998. Mais peut-être aussi parce que c'est un cas en soi, le Dr Georges Chiche. Cardiologue brillant exerçant à Marseille, il sert des blagues potaches au tribunal, comme lorsqu'il rebaptise l'Afssaps, justement, « agence française servant à sauver les anorexigènes pour Servier ». « Attention c'est pas rigolo », prévient-il à chaque fois. Il finit par agacer la présidente du tribunal. C'est qu'en plus, il a tendance à ne pas parler dans le micro. « On ne vous entend pas », répète la présidente une bonne dizaine de fois.

Fin 1998, donc, le Dr Georges Chiche revoit en consultation un patient qu'il a sauvé en 1992 d'un infarctus provoqué par une insuffisance coronarienne. Il présente curieusement une fuite aortique, qu'il n'avait ni en 92, ni en 93. « Je lui ai demandé s'il avait pris du Mediator, car je savais depuis 95-96 que c'était un anorexigène, je le faisais arrêter systématiquement. » Réponse affirmative, il signale donc le cas à l'Afssaps. Dont il n'a pas de nouvelles par la suite. Les laboratoires Servier, eux, ne tardent pas à se manifester. « J'ai d'abord eu la visite d'un visiteur médical, qui voulait que je retire ma déclaration. Ensuite, le centre de pharmacovigilance de Marseille a invité un médecin du laboratoire pour discuter. Enfin, l'adjoint à la culture de Marseille, un éminent cardiologue, m'a appelé pour me dire que je me trompais. Il était musicien, ses festivals de jazz étaient financés par vous-devinez-qui. » Le Dr Chiche n'en revient toujours pas que son nom, ainsi que celui de son patient, aujourd'hui décédé, ait pu être connu de Servier. Le cas signalé n'a pas été pris en compte, en raison des antécédents d'infarctus du patient. « Non, s'emporte le Dr Chiche, une insuffisance aortique ne peut pas être liée à une maladie coronarienne ! »

Interview d’Irène Frachon en vidéo

En 2011, Irène Frachon nous accordait une interview en 5 parties sur le scandale du Mediator. Des vidéos à retrouver ici.

Anne-Sophie Stamane

Anne-Sophie Stamane

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